QUI SUIS-JE par Justine Briot

Défrichage d’une vie bien remplie
On ne pourra jamais l’arrêter. Au cours de ses quarante premières années, Eric Botrel a multiplié les expériences avant de devenir correspondant pour le Courrier picard et photographe. Aujourd’hui, alors que ses journées sont déjà bien remplies, ce beauvaisien d’origine colombienne se lance dans la création de Sol’Itinera, une association associant ces deux passions.
En poussant la porte rouge du Courrier picard,
on est toujours sûr de le trouver derrière l’un des ordinateurs. Appareil photo de professionnel à côté de lui. Des notes qui s’entassent pour la rédaction d’un futur papier sur le quartier de Voisinlieu ou Saint-Jean. Un compte-rendu du dernier concert à l’Ouvre-Boîte. Un physique caractérisé par des petites lunettes, un teint bronzé et un grand sourire. A 45 ans, Éric Botrel est correspondant « à plein temps » pour le titre à l’agence beauvaisienne.
Parallèlement à ce travail, il vient de créer, entouré d’amis, Sol’Itinera, une association consacrée au grand reportage. Elle regroupe pour l’instant une petite dizaine de membres habitant l’Oise, mais ne demande qu’à grandir.

« Avec le bureau, on veut générer, chez les jeunes, une envie de découvrir le monde pour qu’ils puissent par la suite faire partager leur expérience via des photographies, des reportages et des articles », argumente-t-il rêveur, croyant dur comme fer à cette nouvelle aventure.
Un pied en Roumanie...
La naissance de Sol’Itinera se doit à deux rencontres. Baignant dans le milieu associatif beauvaisien, Éric Botrel a monté tout d’abord un projet avec Dominique Rucelle le président de l’association Les Foulées de la Rue. Cette dernière est très active dans la vie beauvaisienne, notamment dans l’aide aux sans domicile fixe. « Cet hiver, je faisais un reportage sur les sans-abris aidés par l’associationet Dominique m’a proposé de partir avec lui en Roumanie pour un autre projet mené par Les Foulées de la Rue qui lui tient à coeur », explique-t-il. En Roumanie, une partie de la population, les Roms, est rejeté par la société.
C’est cette minorité que veulent épauler les deux hommes. « Envoyer de l’argent c’est bien, mais aller sur place pour les aider, c’est mieux ! » Ensemble, ils montent donc un dossier et le présente au conseil général de l’Oise pour recevoir des subventions dans le cadre de Rousseau 2012. On fête le tricentenaire du philosophe humaniste l’année prochaine et le département à organiser un vaste appel à projet pour cet anniversaire.
« Mais le dossier n’a pas été retenu, on ne devait pas être assez humain ! », plaisante-il, non sans regret. Le voyage se fera quand même avec l’aide d’autres partenaires locaux. Les villes de Cluj et Dej, au nord-est de la Roumanie, attendent les deux Beauvaisiens de Sol’Itinera pour le 4 juillet prochain.
… et le coeur en Colombie
D’autres parts, un autre voyage avec est en train de se concrétiser vers la Colombie, le pays où est né Éric. Il est en contact depuis trois ans avec une jeune femme de Senlis originaire du pays. Son action associative sur place permet de scolariser 150 à 200 enfants de Bogota. « Je vais surement repartir dans ce pays, je n’y suis jamais retourné depuis que j’ai été adopté à l’âge de 5 ans », explique-t-il avec émotion.
De la Colombie, Éric n’a gardé que des souvenirs d’enfance. Le train à vapeur "Nescafé" d’où il sautait dès qu’il reprenait de la vitesse. Des combats de rue pour défendre ses jouets. Une maison en taules noires dans les favelas. La mort de sa mère sur un lit d’hôpital lors de la naissance de sa deuxième soeur. Une grand-mère laissée sur le quai d’une gare qui fait le sacrifice de confier ses trois petits-enfants à un couple de français un certain 14 février 1973. « Très tôt, j’ai compris la chance que j’avais eu. Du jour au lendemain je me suis retrouvé dans une belle baraque au Mans avec un papa kiné », analyse le père de famille qu’il est aujourd’hui, comblé par sa petite Calista âgée de 12 ans.
Ce passé et cette déchirure expliquent l’homme qu’est devenu Éric.

Aventurier, généreux, optimiste et humain. Des principes que veut suivre l’association Sol’Itinera qui n’est qu’à ses débuts. « En sortant du théâtre, la semaine dernière, j’ai vu des demandeurs d’asile sous un pont, j’ai pris sept mecs à la maison ». Il n’a pas peur des gens, sa porte est ouverte dès que possible et il aime donner.

Autodidacte sur tous les plans
L’esprit associatif, Éric le connait bien. A 18 ans, il commence « sa vraie vie d’adulte » comme il dit. Tout en étant coiffeur, il s’évade à travers la création de sa propre association Modusartis, « mode de l’art » en latin, une association multidisciplinaire dans les arts. C’était l’époque des Béruriers Noirs et des Cure, les débuts de U2 et de Noir désir. Éric baigne alors dans le milieu de la mode, organise des défilés et découvre toutes les facettes de cet univers. « J’ai pu extérioriser par ce côté créatif et c’est comme ça qu’est né cette passion pour la photographie,en voyant des photographes faire prendre la pause à des modèles », se souvient Éric Botrel. « Regarde le dernier appareil photo que je viens de m’acheter... », me montre-t-il, fièrement. Le dernier de chez Canon.
« J’ai un parcours atypique, je n’ai jamais eu de diplôme, mais mon expérience montre qu’on peut quand même arriver à réussir sa vie sans prétention,en faisant ce qu’on aime, il suffit d’avoir des idées et de saisir les rencontres. »

Pourtant en 2004, devant la porte rouge du Courrier picard, Éric venait pour arrondir ses fins de mois. Il voulait travailler le week-end et distribuer les journaux. « C’est à Amiens qu’il faut s’adresser, ce n’est pas ici les demandes ! »,
grogne le responsable d’agence de l’époque qui l’envoie promener avant de lui demander son parcours. « J’avais un CV un peu marginal, explique, amusé, le correspondant, il était intitulé « Synopsis d’une vie » ». « Vous savez écrire ? Vous avez un ordinateur? » Et le voilà rentré par la petite porte du journalisme en étant correspondant tous les week-end.
« Ce métier, c’est une passion. Ce que je préfère, c’est quand les gens te racontent une histoire et que dans leurs yeux naissent des expressions, une petite flamme... », précise-t-il. Cette petite flamme, on l’a saisie également rapidement chez Éric.
Ensemble, nous prenons la direction de La Friche, en périphérie du centre-ville de Beauvais. Dans la voiture, un ancien pass pour le Zoom Festival de Beauvais accroché sur le siège arrière gauche, le dernier CD de Mademoiselle K près de l’autoradio et dans la portière droite une compilation de la nouvelle édition du Blues autour du Zinc qui attend d’être écouté.
La Friche, c’est un lieu où se réunissent différents artistes, Éric en fait partie et loue régulièrement un local pour réaliser des portraits mode. De l’extérieur les locaux semblent abandonnés mais une fois dedans c’est une explosion de peinture, de dessins et de couleurs.
Eric vient de créer sa petite entreprise photographique, il y a à peine un an.

« Je veux travailler pour moi-même à présent, j’ai quand même un foutu caractère, je n’ai plus envie d’être contraint », avoue-t-il ayant multiplié les métiers dans le passé. C’est étrange car aux premiers abords, cette facette de sa personnalité ne saute pas aux yeux et va à l’encontre du côté avenant et tourné vers les autres qu’on lui connaît. Mais au fond, Éric est un grand solitaire : « la solitude me construit par rapports à mes réflexions, à mes projets comme Sol’Itinera. » Le local est petit, mais cela lui suffit pour s’évader et réaliser ses shooting.
Les rencontres Éric les a saisies et aujourd’hui, il pense avoir acquis les étapes qui construisent un homme. Quand on l’écoute, toute sa vie s’est structurée « par des accidents ». Bons ou mauvais.
L’association Sol’Itinera fera partie des bons. « J’aime l’imprévu, demain ne me fait pas peur ! », répète-t-il pour finir.
Et toujours avec le sourire.
Justine BRIOT

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